Les dénuméraux sont des unités morphologiquement complexes construites à partir des numéraux, c'est-à-dire des expressions linguistiques qui servent à compter ou à dénombrer les objets. Les ordinaux (ex. fra trois-ième ⟵ trois) sont l’exemple le plus commun de dénuméraux (Stump 2010). Mais il en existe plusieurs autres variétés, au nombre desquelles les fractionnaires ex. hun harminc-ad ‘1/30’, les distributifs ex. eus hiru-na N ‘3 N chacun’; les multiplicatifs ex. deu zehn-mal ‘10 fois’; les collectifs ex. pol czworo N ‘groupe de 4 N (personnes)’, les approximatifs ex. fra cinquant-aine; les appellatifs ex. rus troj-ka ‘ensemble de 3 éléments (œuvrant ensemble)’, les sous-partitifs, qui indiquent le nombre de parties d’une entité ex. eng bin-ary ‘composé de 2 éléments’, ceux exprimant l’âge ex. ita vent-enne ‘personne âgée de 20 ans’. A ces formations, il faut ajouter les composés dont une des bases est un numéral ex. nld drie-daag-s 3-jour-azr ‘qui (dure) 3 jours’. Des informations détaillées sur ce que recouvrent les appellations qu’on vient de donner se trouvent sous la section Terminologie / Terminology.
La question des dénuméraux est très rarement, voire jamais, traitée en tant que telle dans les grammaires ou les ouvrages de référence sur les langues. Le Handbook of Word Formation (2015) est le premier ouvrage à y consacrer un chapitre (si l'on excepte Fradin & Saulnier 2009). Le plus souvent seuls les ordinaux sont abordés et leur inventaire s'arrête en général avant que les questions intéressantes émergent, notamment pour ce qui regarde la morphologie. Par exemple, ce qu’il y a dans le WALS sur les ordinaux (Stolz & Urdze 2005) rate les phénomènes importants parce qu’il ne prend en compte que les premiers numéraux.
Le projet “Les dénuméraux à travers les langues” vise justement à répertorier les types de dénuméraux qui existent dans quelques langues et à en entreprendre une description dans une perspective typologique. Son objectif est la mise au point d’outils descriptifs, conceptuels et possiblement formels, permettant de décrire la variété des dénuméraux existants. En dehors de publications dans des revues spécialisées, l’élaboration d’une base de données accessible et interrogeable en ligne constituait l’objectif le plus tangible du projet.
Alors que les ordinaux et les fractionnaires sont des dénuméraux qui se rencontrent dans la majorité des langues disposant de numéraux cardinaux, tel n’est pas le cas des autres dénuméraux et, quand ils existent, ils forment souvent des séries fragmentaires. C’est probablement une des raisons qui font que la catégorie des dénuméraux reste peu et mal décrite dans les grammaires, alors même qu’elle présente un intérêt typologique évident. Mais il existe aussi des langues pour lesquelles la série des cardinaux est très réduite, pratiquement inexistante. D’autres où les numéraux sont empruntés à d’autres langues. Pour ces cas, chercher à décrire les dénuméraux devient une gageure et s’avère parfois impossible. Mais la récolte des dénuméraux peut aussi déboucher sur des découvertes inattendues, même dans les langues raisonnablement bien décrites (Fradin 2019).
L’échantillon des langues n’est pas typologiquement équilibré. Il résulte de l’intérêt qu’ont manifesté pour le projet des collègues travaillant sur des langues diverses, dont plusieurs restent encore peu décrites. Cet échantillon contient un nombre important de langues d’Europe car la présente base réutilise les données récupérées pour la documentation de l’article de Fradin (2015). Ces données furent obtenues par le biais de questionnaires remplis par des collègues locuteurs natifs de ces langues, complétés souvent par des échanges de courriels. Une vingtaine de langues ont été décrites. Le degré de couverture est variable et dépend du nombre de réponses apportées et de leur qualité. Les explications concernant la métalangue employée dans la base sont fournies dans la section Terminology / Terminologie. La mise en forme des données dans un format homogène, alors même que celui-ci a varié au gré des améliorations qu’on lui apportait, entraîne inévitablement des erreurs. Nous espérons qu’il en reste peu et nous excusons auprès des lecteurs de celles qui restent. Il va de soi que des retours sur ce point seront bienvenus. Si modeste qu’elle soit, nous espérons que cette base de données pourra inciter d’autres linguistes à décrire les dénuméraux dans d’autres langues et sera utile du point de vue de la comparaison typologique.
Le projet a été accepté par la fédération TUL (Typologie et Universaux Linguistiques) en 2013 et a démarré au premier janvier 2014. Il s’est terminé fin 2018. L'architecture du site reprend, en l'adaptant, celle du site Graz Database on Reduplication.
Les membres du projet dont la liste suit ont apporté une contribution à la présente base de données pour les langues mentionnées après leur nom :
Karla J. | AVILÉS GONZÁLEZ | Nahuatl, nahuatl |
Isabelle | BRIL | nêlêmwa |
Hélène | de PENANROS | Lithuanian, lithuanien |
Aimée | LAHAUSSOIS | Thulung, thulung |
Akiko | NAKAJIMA | Japanese, japonais |
Tulio | ROJAS CURIEUX | Páez / nasa yuwe |
Françoise | ROSE | Mojeño Trinitario |
Anna | SÖRES DORSCH | Hungarian, Hongrois |
Yvonne | TREIS | Kambaata, kambaata |
Alice | VITRANT | Burmese, birman |
C’est à Alexandre Roulois (LLF) que revient l’élaboration et la mise à jour du site en ligne.
Les informateurs ayant fourni des données pour les langues documentées sur le site ou répondu aux questions survenues à divers moments sont remerciés sur la page d’accueil de chacune des langues.
La Fédération TUL (Typologie et Universaux Linguistiques, CNRS) a financé le projet, et le Laboratoire de Linguistique Formelle (UMR 7110, CNRS & Université Paris Diderot) a apporté un constant soutien matériel et humain.
Bernard Fradin
Responsable du projet
Directeur de recherche émérite au LLF